Les entrepreneur·es individuel·les, piliers de la vitalité économique locale
- Albane Comot Rannaud
- il y a 24 heures
- 3 min de lecture

Une économie solo, massive et invisible
La France compte aujourd’hui 4,6 millions de travailleurs indépendants, dont près de 3 millions de micro-entrepreneurs¹. Ils représentent 13 % de l’emploi total et forment 96 % du tissu productif dans les secteurs non agricoles et non financiers².
Pourtant, leur rôle économique demeure largement sous-évalué : leur contribution au PIB est estimée entre 8 et 10 %, et leur poids médiatique ou politique reste marginal face aux grandes entreprises qui concentrent les deux tiers du chiffre d’affaires national³.
Ce paradoxe interroge : comment un tel pan de l’économie, ancré au plus près des territoires, peut-il rester si peu visible ? Les entrepreneurs individuels ne sont pas des trajectoires isolées, mais les maillons essentiels d’une économie de proximité, continue et vivante.
Une recomposition structurelle du travail
Depuis deux décennies, l’emploi indépendant connaît une dynamique soutenue. Hors agriculture, il a progressé de 72 % depuis 2008, essentiellement portée par le succès du régime de la micro-entreprise⁴. Fin 2023, plus de 4 millions d’indépendants sont recensés par l’Urssaf, en hausse de 5,1 % sur un an, dont 58 % sous statut micro⁵.
Cette montée traduit une transformation profonde du rapport au travail : autonomie, pluriactivité, recherche de sens et de souplesse. Plus de 30 % des micro-entrepreneurs cumulent leur activité avec un emploi salarié⁴. Le profil s’est aussi rajeuni (un sur deux a moins de 40 ans) et féminisé (43 % de femmes)⁵.
Derrière ces chiffres, c’est tout un écosystème qui se redessine : artisans, freelances, commerçants, professions libérales ou acteurs de la santé participent d’une économie fondée sur la proximité et la réactivité, moins soumise aux cycles mondiaux et plus enracinée dans la vie quotidienne des territoires.
Des piliers de la continuité territoriale et de la vitalité économique locale
Dans un contexte de concentration urbaine et de désindustrialisation partielle, ces acteurs assurent la continuité de services là où les grandes entreprises se retirent. Près d’un quart des créations d’entreprises ont lieu en zone rurale, majoritairement sous forme individuelle⁶. Dans certaines régions, les indépendants représentent jusqu’à 15 % de l’emploi total, contre 7 % dans les grandes métropoles⁶.
Ils incarnent la vitalité économique locale : l’artisan qui maintient un atelier dans un bourg, le service à la personne qui permet à des familles de rester sur place, le consultant numérique installé dans un tiers-lieu rural, le boulanger, le maçon, le photographe indépendant. Autant de métiers qui ne délocalisent pas : ils ancrent l’activité dans la durée, soutiennent le commerce, la consommation et la cohésion sociale.
Leur rôle dépasse le simple service économique. Ces entrepreneurs contribuent à la revitalisation des centres-bourgs, à l’essor des espaces de coworking et des tiers-lieux, à la transition écologique par les circuits courts et les activités artisanales de proximité.
Une résilience encore fragile
Leur contribution ne doit pas masquer leurs fragilités. À trois ans, 71 % des entreprises individuelles classiques et 55 % des micro-entreprises demeurent actives⁷. La pérennité dépend fortement de l’investissement initial, du secteur d’activité et de l’accès à l’accompagnement.
Les défaillances concernent avant tout les TPE de moins de 5 salariés (+9 % au troisième trimestre 2025)⁸, notamment dans les services aux particuliers et aux entreprises. Ces structures, très exposées aux variations de trésorerie et à l’isolement, restent peu protégées par les dispositifs publics traditionnels.
Malgré ces fragilités, leur ancrage territorial et leur agilité économique leur permettent de rebondir là où d’autres structures disparaissent. Cette capacité d’ajustement, au plus près des besoins locaux, fait des entrepreneurs individuels un maillon discret mais essentiel de la résilience économique française.
Vers une reconnaissance systémique
Reconnaître la valeur des entrepreneurs individuels, ce n’est pas opposer la petite économie à la grande industrie, ni l’économie de proximité à l’économie mondiale. C’est comprendre que la résilience repose sur la cohabitation de ces dynamiques : les grandes filières structurent la production nationale ; les entrepreneurs individuels, eux, assurent la respiration locale du système économique.
Nous gagnerions à les considérer comme des acteurs à part entière du développement économique, non comme un sous-segment du salariat ou une variable conjoncturelle. Car soutenir leur montée en compétence, leur protection sociale, leur visibilité et leur mise en réseau, c’est investir dans la cohésion et la vitalité des territoires.

Sources
Insee, Emploi et revenus des indépendants, édition 2025
Insee, Les entreprises en France, édition 2023
Insee, Le tissu productif par catégorie d’entreprises, édition 2025
Insee, Emploi et revenus des indépendants, édition 2025
Urssaf, Stat’Ur n°392, décembre 2024
Insee, Emploi et revenus des indépendants, 2025
Insee Analyses Grand Est, avril 2024
Altares, Défaillances et sauvegardes d’entreprises, 2025